Gagneur.                                   351
un aille dans le fein paternel, elle n'y trouva qu'amertume et défolation. S'étant mife à genoux aux pieds de fon père, lui expofant fa trille fituation et lui demandant fa bénédiction, ce père, irrité des pourfuites que lui avoit faites fon mari en lui formant une demande en juftice qu'il n'avoit pas droit de lui faire, loin de' recevoir fon enfant qui imploroit fa miféricorde, la pour-fuivit vivement un bâton à la main et la chaffa honteufement dehors de chez lui, croyant qu'elle avoit contribué et donné les mains à cette demande. Une femme expofée à chaque inftant à perdre la vie avec un mari qui d'ailleurs l'a dépouillée de tous fés effets en dévaluant généralement tout ce qui lui appartenoit en hardes, linge, argent et marchandifes et lui ayant fait perdre fa réputation, fon crédit et fon commerce ; une femme légitime qui fe voit humiliée par l'afcendant des concubines; un enfant rebuté et abandonné de tous fés parens ; enfin, une femme réduite à mendier fon bien ct par là hors d'état de pouvoir fe faire rendre juftice des torts et maltraitemens qu'elle a fi fouvent et fi indignement effuyés ; enfin, l'innocence opprimée par tant de traits de noirceur que la vertu feule a pu foutenir et fupporter, cft réduite et comme forcée de quitter fa patrie pour chercher dans l'étranger les fecours-qui lui ont été refufés par fés plus proches. Cette femme infortunée, par un effet de la divine Providence, qui n'abandonne jamais ceux qui ont été per-fécutés injuftement, trouva dans le moment même une dame qui, touchée de fon état pitoyable, l'emmena avec elle à Lyon, en 1760, où elle eftreftée jufqu'à préfent auprès d'un parent qui lui a procuré pendant tout ce tems fés befoins et fon néceffaire. La plaignante, avant fon départ de Paris, avoit mis en pention chez une dame de fés amies fa fille âgée de 2 ans et demi ; mais le fieur Gagneur l'a retirée malgré la plaignante et l'a fait élever dès fon bas âge à l'exercice des bateleurs. La plaignante, arrivée à Lyon, fe trouva pendant quelque tems plus tranquille et croyoit étre à l'abri des pourfuites de fon mari; mais ce dernier en parcourant les villes de province chaque année après la foire St-Germain, en paffant à Lyon, mit tant d'efpions en mouvement qu'il découvrit la demeure de fa femme. Cette découverte occa-fionna à Ia plaignante mille infultes dans fon appartement de la part de plu-fieurs inconnus, Ies uns étant des foldats, d'autres de certains quidams por­tant figures de fcélérats. Dans le commencement elle ne favoit s'imaginer de quelle part tout cela provenoit. Ayant appris que fon mari étoit à Lyon, elle n'eut plus de doute fur ce fait. Cela'eft fi vrai que chaque fois que fon mari eft paffé à Lyon, pendant les douze années qu'elle y eft reftée, elle y a.été expofée à différentes infultes qu'elle a effuyées. Tantôt c'étoit par des gardes-françoifes, tantôt par des foldats dont quelques-uns étoient du régiment d'Aquitaine ; notamment il y a environ quatre ans, ces foldats du régiment d'Aquitaine alloient de nuit et faifoient tapage à:fa porte parce qu'elle ne vouloit pas leur ouvrir. D'autres fois ils ont caffé les vitres à coups de pierres et enfin un jour ils s'y rendirent fur l'heure de midi, l'épée nue, cachée fous leur habit : ayant heurte, elle ouvrit, ne foupçonnant pas que ce fuffent ces brigands. Tout d'un coup, s'en étant aperçue, elle s'élança en dehors en